Mémoire du BHV : Mai 68 par Jean de Nerville
2 Octobre 2011 , Rédigé par Les federateurs du reseau Bazar Publié dans #BHV d'hier
La France paralysée par les grèves, le magasin Rivoli occupé par le personnel et son accès contrôlé par des piquets de grève.
Depuis quelques jours, on sentait monter une certaine tension dans le magasin.
Des cortèges de vendeurs grévistes parcouraient bruyamment les couloirs du 7ème étage et l’écho de leurs revendications me parvenait à travers la cloison qui séparait mon bureau du couloir.
Un matin, en arrivant à la porte du 15 Verrerie, porte d’entrée
des services à cette époque, nous avons été accueillis par un piquet de grève.
On apprenait que le magasin était sous le contrôle du personnel et que le mieux que nous avions à faire, était de retourner chez nous et d’attendre la suite.
Ce jour là, pour la même raison, la Direction s’était vue interdire l’accès de ses bureaux du 7ème étage. Elle s’était alors repliée dans un local situé dans un bâtiment annexe dont l’entrée donnait sur le square Sainte Croix de la Bretonnerie, là où se trouve actuellement le Département médical, car personnel gréviste campait dans le magasin.
Pour garder le contact avec ses cadres, la Direction avait organisé dans cette pièce une permanence tenue par des cadres supérieurs. Chacun pouvant venir s’informer sur l’avancement des discutions sur les revendications du personnel gréviste et aussi, pour ceux qui pouvaient se trouver en difficulté financière, toucher une avance sur salaire en espèces.
Un beau matin, je reçois chez moi un appel de cette permanence me demandant de venir la rejoindre rapidement au square Sainte Croix de la Bretonnerie ce que je fis promptement en enfourchant mon Solex.
Très rapidement, je fus mis au courant de la raison de mon déplacement.
À cette époque, les mots « bureautique et reprographie » n’avaient pas encore franchi les portes du B.H.V. Un petit atelier de reproduction de documents comprenant une Ronéo, un massicot et l’unique photocopieuse du magasin avait été installé au Service des Stocks.
C’était les tous premiers débuts de la photocopie et notre machine de marque Rank Xerox avait la fâcheuse habitude de bourrer et de prendre feu lorsque les feuilles de papier s’accumulaient à l’entrée d’un four, chargé de fixer le tuner sur le papier.
Son maniement était donc délicat, mais je savais la mettre en route et surmonter ses humeurs incendiaires. J’étais donc l’homme de la situation !
Il s’agissait de photocopier en plusieurs exemplaires, un document faisant le point sur l’avancement des discutions entre la Direction et les délégués du personnel pour être ensuite distribué aux cadres à l’occasion d’une réunion d’informations prévue peu après, par la Direction, à la Maison de la Chimie.
Un accord étant passé avec les grévistes afin de m’autoriser à entrer dans le magasin pour gagner mon service.
Avec mon dossier sous le bras, je me présente donc au 15 Verrerie où m’attend une délégation chargée de m’accompagner jusqu’au Service des Stocks-Calcul des Prix situé au 7ème étage.
En pénétrant dans le magasin, j’ai la curieuse impression que le temps s’est brusquement arrêté et qu’un mauvais sort a pétrifié le magasin. Sous l’éclairage blafard des lampes de secours règne un oppressant silence. Les comptoirs sont recouverts de leurs housses ainsi qu’il était d’usage à cette époque à la fermeture des portes, pour les mettre à l’abri de la poussière et des tentations du personnel d’entretien. C’était aussi un signal, une manière de signifier aux clients retardataires qu’il était temps de prendre le chemin de la sortie !...
Encadré de mes 2 accompagnateurs, j’emprunte les escalators alors à l’arrêt.
Au passage, à un étage, dans une semi-obscurité, je crois apercevoir quelques lits de camp recouverts de duvets et un groupe tapant la carte sur une table empruntée comme les lits et les duvets au rayon Sport-Camping. Le magasin est bien sous contrôle !
Après avoir parcouru des couloirs déserts et obscurs, nous pénétrons dans le service. Là aussi, le mauvais sort a frappé. Sur les bureaux, à coté des machines à calculer, des petits objets familiers : photos ou bibelots ; dessous, des paires de souliers attendant leurs propriétaires ; accrochées aux dossiers des chaises : des vestes ou des blouses. Service figé dans l’attente du retour…. d’une éventuelle heure de table.
Sous le regard intéressé de mes gardiens, je mets la photocopieuse en route. Indifférente aux mots d’ordre de la rue, après un temps de chauffage, la machine se met tout naturellement au travail
Une main sur l’extincteur pour répondre à un éventuel bourrage et son départ de feu, je vois défiler sans incident les rames de papier.
Dans le carton vidé du papier vierge avalé par la machine , je range les photocopies. L’opération est terminée, la machine est débranchée en attendant des jours meilleurs !
Notre petite troupe reprend le chemin du retour. Même itinéraire, même impression pénible d’un magasin à la dérive.
Pas tout à fait, car ce petit campement que j’avais observé de l’escalator à l’aller s’est transformé en une joyeuse assemblée autour d’une table où trônent quelques bouteilles.
On se quitte sur le trottoir... Le bruit, les odeurs, le soleil…. la vie !
Je dépose mon carton dans le bureau du square Sainte Croix, mission accomplie.
Je récupère mon Solex et rentre chez moi...
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