LU pour vous : BHV : Frédéric Merlin au pied du mur pour payer les Galeries Lafayette
LU pour vous : BHV : Frédéric Merlin au pied du mur pour payer les Galeries Lafayette
Rédactrice : Sophie Lecluse
Chacun pourra penser ce qu’il veut, mais la situation semble toujours aussi préoccupante.
Frédéric Merlin réussira t’il à obtenir les prêts nécessaires ?
Le journal d’information : La lettre publiait cet article le 15 novembre dernier, bien clair et bien structuré.
L'Événement BHV :
Frédéric Merlin au pied du mur pour payer les Galeries Lafayette
Le jeune entrepreneur Frédéric Merlin, que personne n'avait vu venir sur le rachat du BHV, a bien du mal à boucler son plan de financement pour en acquérir les murs. Il cherche aussi la martingale pour relancer l'exploitation du grand magasin. La famille Moulin-Houzé s'impatiente.
Frédéric Merlin a pris tous les autres grands magasins parisiens de court en lançant dès le 6 novembre les illuminations de Noël du BHV. Le patron de la Société des grands magasins (SGM), qui exploite l'ex-Bazar de l'Hôtel de Ville depuis un an, a paradé en compagnie de la maire de Paris, Anne Hidalgo, et a posé pour la photo avec les stars du soir Adriana Karembeu, Marc Lavoine et l'influenceuse Léna Situations. Mais ce jeune entrepreneur de 32 ans se fait beaucoup moins véloce et bien plus discret quand il s'agit d'honorer ses engagements financiers auprès des Galeries Lafayette, toujours propriétaires des murs du BHV.
La famille Moulin-Houzé, à la tête de la holding Motier, détentrice des Galeries Lafayette, de La Redoute, de Mauboussin et aussi de 7,7 % du distributeur Carrefour, commence d'ailleurs à sérieusement s'impatienter.
100 millions déjà récupérés
À la suite de la signature de l'acte de vente en novembre 2023, la SGM a jusqu'au 31 décembre 2024 pour payer la facture d'un ensemble comprenant le BHV Marais, rue de Rivoli (Paris 4 ), celui de Parly 2 (Yvelines) et le BHV L'Homme, rue de la Verrerie (Paris 4 ). Soit un peu plus de 400 millions d'euros pour les murs et l'exploitation.
Les Moulin-Houzé ont déjà récupéré 100 millions d'euros de la vente de quelques adresses supplémentaires, rue de la Verrerie et rue des Archives, auprès de Frédéric Merlin, associé au marchand de biens lyonnais 6e Sens Immobilier. Mais l'entrepreneur peine vraiment à boucler son plan de financement pour le gros morceau restant, alors que les transactions immobilières sont à l'arrêt et les taux d'intérêt encore hauts.
Il a, selon nos informations, approché récemment Bpifrance et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) pour compléter son apport en fonds propres et le prêt de BPCE, via sa filiale Natixis. Les négociations seraient encore en cours avec ces institutions, qui apporteraient par ailleurs un cachet de crédibilité au projet.
Cette crédibilité manque cruellement au jeune Frédéric et à sa sœur, Maryline Merlin, dont la fortune et les moyens de financement restent obscurs. Ensemble, ils ont lancé leur foncière à Lyon en 2018 avec des prêts étudiants investis dans le rachat de centres commerciaux de province qu'ils ont réhabilités. Ils ont ensuite mis un premier pied dans la porte de la holding des Moulin-Houzé en rachetant sept magasins Galeries Lafayette de province, fin 2021.
Les conseillers immobiliers missionnés
Au-delà du plan de financement, les Merlin cherchent aussi la formule magique pour l'exploitation des 40 000 m du magasin amiral, face à la mairie de Paris. La rentabilité s'est dégradée au fur et à mesure de l'avancée des travaux de la rue de Rivoli, désormais interdite aux voitures, et de la prise de pouvoir du e-commerce sur les achats non alimentaires.
Les pertes du magasin s'élevaient à plus de 15 millions d'euros en 2023. Frédéric Merlin a d'abord planché sur une reconversion des étages supérieurs en hôtel de prestige. Il avait l'intention de confier ces espaces avec vue sur la Seine à une chaîne internationale comme The Standard, référence à New York. Mais la configuration des lieux et l'absence d'autorisation de la mairie a mis le projet en sommeil.
Le grand magasin, qui vit de ses concessions sous forme de corners à quelque 300 marques, reste néanmoins trop spacieux et doit être optimisé. Frédéric Merlin a missionné au printemps l'ensemble des grands groupes de conseil en immobilier, tels que CBRE, Cushman & Wakefield et JLL, sur un plan de valorisation de l'espace. JLL tiendrait la corde. Food court, espaces confiés en location-gérance à des marques (comme actuellement Boulanger), pop-up stores, toutes les hypothèses sont sur la table.
Les syndicats reçus à la mairie
En attendant, le costume de directeur général de grand magasin semble un peu trop large pour Frédéric Merlin. Le nouveau patron a accumulé les retards de paiement aux marques en concession depuis un an, comme l'a relaté Mediapart en août. Ce qui révèle de sérieux problèmes de trésorerie. À Parly 2, une dizaine de marques ont plié bagage pour aller dans le magasin Le Printemps situé dans le même centre commercial.
L'intersyndicale CFDT, CFTC, CGT et Sud a émis un droit d'alerte en mai, reconduit en septembre, et s'inquiète pour l'avenir des 975 salariés, dont environ 800 au BHV principal. Les représentants syndicaux ont été reçus le 5 novembre par Afaf Gabelotaud, adjointe à la maire de Paris chargée du commerce et de l'emploi, qui n'a rien pu leur promettre. La situation est d'autant plus préoccupante que novembre et décembre représentent le quart des 280 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel du 52 Rivoli. Face à ces manquements, la famille Moulin-Houzé trépigne. Elle croule sous plus d'un milliard d'euros de dettes (LL du 28/02/23).
La Redoute souffre avec le secteur du meuble, le cours de Bourse de Carrefour ne décolle pas, les Galeries Lafayette Haussmann reviennent tout juste à leur niveau de vente d'avant-Covid (mais pas au même niveau de rentabilité), tandis que le magasin des Champs-Élysées accumule les pertes.
Dissensions au sein de la famille
Le sujet du BHV fait donc office de caillou supplémentaire dans leur chaussure. Il occasionne même des dissensions au sein de la famille. La descendante des fondateurs, Ginette Moulin, 97 ans, soutenue par son petit-fils le président du groupe Galeries Lafayette, Nicolas Houzé, reproche à Philippe Houzé, nouveau président de la holding Motier, de s'être trop vite jeté dans les bras de ce jeune loup de Frédéric Merlin, sans avoir perçu qu'il n'avait sans doute pas les reins assez solides.
La famille rappelle donc régulièrement à la Société des grands magasins la date butoir du 31 décembre, même si leur contrat prévoit un report à fin mars, assorti d'indemnités compensatoires. D'autant qu'il n'y a pas vraiment de plan B.
Certes, la vente des murs seuls rapporterait environ 700 millions d'euros, soit 200 millions de plus que la transaction actuelle, négociée aux alentours de 500 millions pour les murs et l'exploitation. Mais elle impliquerait de tirer un trait sur l'existence du grand magasin actuel, et il faudrait alors endosser la pénible responsabilité d'éteindre une dernière fois ses belles guirlandes de Noël.