Jean de Nerville : Une apparition dans le Tassili du Hoggar
Cette aventure peut vous faire froid dans le dos, elle est véridique et trouve sa place en cette période Halloween! Merci Jean.
C’était au soir de ma deuxième journée dans le Tassili
du Hoggar.
La veille, l’avion m’avait déposé à Tamanrasset aux environs de midi après un décollage très matinal de Roissy.
Ce matin là, Tamanrasset fut une brève étape, juste le temps de nous reconnaître, participants et accompagnateurs touaregs avec lesquels nous allions partager cette quinzaine qui allait nous mener jusqu’aux frontières du Mali.
Puis nous avions pris la direction du sud en empruntant la piste du Tassili. Un dernier arrêt à un puits équipé d’une pompe pour faire le plein d’eaux et notre convoi composé de 3 véhicules 4x4 s’était ébranlé à nouveau.
Avant la tombée de la nuit qui vient tôt sous cette latitude, profitant de cette dernière heure de soleil, nous nous sommes arrêtés aux environs de 17 heures pour monter le bivouac,
Comme j’avais l’habitude de le faire à chaque étape du soir lors de mes précédents voyages, j’avais descendu mon sac du toit du 4x4, et m’étais mis à la recherche d’un endroit isolé assez éloigné de mes autres compagnons pour être hors de portée des bruits et si possible de leur vue. Après une journée passée ensemble, je trouve agréable ces moments de calme et de solitude à l’écart du reste du campement.
Mais cette nuit là, dans ce fond d’oued où j’avais installé mon couchage, un petit vent frais remontant l’oued s’était insinué entre mon bonnet de laine enfoncé jusqu’aux oreilles et mon chèche, pieuse relique de ma campagne du Rif dans un régiment de Spahis, enroulé autour de mon cou et du bas de mon visage.
Ce vent coulis ajouté aux éclats d’une conversation joyeuse mais bruyante de nos guides touaregs regroupés autour du feu, m’avais réveillé à plusieurs reprises.
Pour la nuit prochaine, j’étais donc décidé à me trouver un endroit tranquille pour une nuit complète et reposante
Ce fut la première journée.
En fin d’après midi de ce deuxième jour, après une très belle course à travers de magnifiques paysages, notre convoi stoppe pour l’étape du soir.
Mon sac descendu du 4x4, je pars à la recherche d’un emplacement abrité, à l’écart de tout tohu bohu. En arrivant j’avais repéré une petite barre rocheuse derrière laquelle je pensais trouver l’endroit idéal.
Je la franchis aisément pour trouver de l’autre coté, à ces pieds sur le sable, un endroit abrité avec un petit retour de rocher faisant à la fois tête de lit et paravent.
Le reste du campement n’est pas loin, car en me haussant un tant soit peu, je peux voir au-de là de cette barre, les toits des 4x4 garés près du feu du campement à une petite centaine de mètres.
Alors qu’il reste encore quelques instants de jour, et avant d’aller chercher ma cuvette d’eau pour des modestes ablutions du soir, j’installe ma couche.
Par précaution, je ne déroule mon sac de couchage qu’au moment de m’y glisser afin d’éviter que des petites bêtes malfaisantes ne viennent s’y blottir au chaud en mon absence.
J’étale donc mon mince matelas de mousse le long de la paroi rocheuse, et place mon sac de couchage encore enroulé en tête du matelas contre le petit retour du rocher.
Et comme chaque soir, je prends quelques photos de mon installation. Ainsi je borne mes journées ce qui m’aidera à rassembler mes souvenirs dans mes relations de voyages à mon retour à Paris.
Dans tous mes bivouacs au désert, je n’ai jamais manqué à ce rituel.
Je fais un aller retour vers les 4x4 pour remplir ma cuvette au jerricane d’eau placé à coté des voitures puis toilette faite, si on peut dire, torche en main la nuit étant tombée entre temps, je franchis la barre et rejoins le reste de l’équipe groupé, accroupi autour du feu dans l’attente du frugal repas du soir.
Sous une magnifique voûte étoilée, ces instants de convivialité sont des moments d’amitié partagée, de rappel des incidents de la journée et particulièrement riches lorsqu’un des guides touaregs se lance dans le récit toujours poétique de légendes où le coq et le chacal jouent les rôles qui chez nous sont en général attribués au renard et au corbeau. Mais chez les Touaregs, c’est le volatile qui est l’animal rusé.
La soirée se termine par la traditionnelle dégustation du thé à la menthe sucré et brûlant servi en trois fois dans des petits verres.
- Le premier verre est amer comme la vie
- Le second est fort comme l’amour
- Le troisième est suave comme la mort.
Puis sous un ciel clair parsemé d’étoiles, à la lueur de sa lampe torche, chacun rejoint son couchage.
Pour moi, tournant le dos au gros de la troupe, je franchis cette petite croupe rocheuse et me sépare du reste du campement.
Maintenant tout est silence. À moins d’être à proximité d’une oasis, dans le désert la nuit tout est silence. Des petites bêtes marchantes ou rampantes dont on relève les traces sur le sable au levé du jour circulent dans l’obscurité, sans bruit.
Avant de préparer ma couche, je sors de mon sac mon pyjama que j’enfile. Pour y voir claire, je place ma lampe torche à ma droite sur le plat de mon sac à dos, en direction de mon sac de couchage.
Puis à genoux devant mon matelas, face au rocher, je pivote sur ma gauche pour atteindre mon sac encore roulé lorsque quelque chose attire mon attention comme une présence et me force à tourner mon regard au de-là du petit retour de rocher qui me sert de tête de lit.
Et je crois distinguer à trois mètres de moi, semblant surgir de derrière ce rocher, de profile, une silhouette brouillée mais imposante d’un touareg en marche.
Vision très fugace et silencieuse!
Surpris, mais non impressionné, ce genre de manifestation, les phantasmes ou autres apparitions, n’ayant jamais traversé mon esprit, je mets ce phénomène sur le compte d’une surexposition sur ma rétine de l’image du retour de rocher situé sur ma gauche. Tranquillement, je me lève, prends ma lampe torche pour aller regarder derrière le rocher. Naturellement! Rien sous le faisceau de ma lampe ; la nuit est calme et j’ai hâte d’en finir avec mon installation et de me glisser dans mon sac pour retrouver un peu de chaleur car la fraîcheur de la nuit commence à tomber.
Je m‘installe à nouveau à genoux devant mon matelas pour l’installation de mon sac de couchage.
Très vite, à nouveau, une même impression que quelque chose de bizarre se passe sur ma gauche ; je tourne la tête et revois dans la nuit la même vision. Toujours ce touareg de grande taille qui passe en glissant, sans toucher terre, sa djellaba flottante comme emportée par son mouvement.
Cette fois il n’y a aucun doute : ce que j’ai vu, je l’ai vu. Il ne s’agit plus d’un dérangement de ma vue. D’un bond je me lève et me précipite vers cette apparition en lui criant de partir : "Va-t-en, va-t-en". Puis, plus rien que la nuit et mon cri qui laisse traîner un léger écho sur l’autre bord de l’oued.
L’ai-je fait partir en criant ou cette forme a-t-elle disparu au moment même où je me suis levé ? Tout est allé si vite.
Mon cœur battant la chamade, je reviens vers mon matelas.
Pendant un court moment je suis tenté de repasser la barre pour me replier vers le feu. Mais je n’arrive pas à croire à une telle hallucination. Il doit y avoir une cause naturelle qui m’échappe et qui m’a bêtement affolé.
En regardant autour de moi je cherche une explication. Je vois alors ma lampe torche posée à ma droite sur le plat de mon sac à dos.
Mais oui bien sûr, c’est son faisceau dirigé vers moi qui projette sur ma gauche mon profil comme une ombre sur l’écran la nuit. En effet c’est bien quand je me lève que l’apparition disparaît. Je me suis fait piéger par ma lampe torche ; pourvu que mes cris n’aient pas été entendus de l’autre coté du rocher.
Je change donc l’orientation ma lampe torche et la place toujours à ma droite mais au ras du matelas car il me faut bien un peu de lumière pour dérouler mon sac de couchage. A genoux devant mon matelas, je reprends mon installation.
Mais cette fois ci, il n’y a plus de doute ! Il est toujours là ; il vient de passer!... Exactement la même silhouette, le même mouvement feutré et ce n’est pas mon ombre.
Affolé, je ramasse en vitesse ma torche, franchis la barre rocheuse et courre me réfugier près du feu où se réchauffent les guides touaregs. Tout ému, je leurs raconte ce que je viens de voir. Le Touareg est superstitieux ; il a gardé un fond de croyance aux génies, les Djenouns en arabe (ceux de la solitude) .
Je me souviens qu’en Libye, nous avions du déplacer un bivouac parce qu’il était trop près de l’Indinen, massif rocheux au relief tourmenté, hanté par les Djins.
Mais là, mon récit ne rencontre que scepticisme et même, je crois sentir de leur part un peu d’ironie. C’est la lumière de leur feu, c’est un coup de vent qui a fait lever du sable….
Mais je suis trop troublé parce que je viens de voir pour trouver dans leurs explications une cause naturelle qui puisse me rassurer.
Pour moi, il n’est pas question de retourner seul à mon bivouac pour récupérer le reste de mes bagages. L’un d’entre eux m’accompagne donc et après avoir regardé une dernière fois derrière le rocher, (j’allais écrire dans l’au-delà) je viens m’installer auprès d’eux autour du feu. Je suis pris d’un tremblement nerveux qui me tient jusqu’à ma rencontre avec le sommeil.
Si je n’ai pas été le témoin
d’une manifestation surnaturelle, pourquoi alors en consultant sur mon appareil numérique mes photos prises la veille, celles de mon bivouac ont
disparues!.. Jean de Nerville
Merci Jean pour ce récit. Peut-être qu'un de nos grands voyageurs du blog aressenti un jour un évenement similaire ...