Lu dans la presse : Vente du BHV par les GL : quelle est la recette de Frédéric Merlin (SGM), futur propriétaire?
Analyse assez complète de Challenges, mais que faut-il entendre par la phrase surlignée ?
Vente du BHV par les Galeries Lafayette : quelle est la recette de Frédéric Merlin (SGM), futur propriétaire?
Challenges : Par Guillaume Echelard le 18.02.2023 à 12h18
Les Galeries Lafayette sont entrées en discussions exclusives avec la Société des Grands Magasins (SGM) pour la vente du BHV, enseigne historique parisienne, en déclin depuis plusieurs années. La SGM a forgé sa réputation sur le redressement de centres commerciaux de centre-ville. Mais quelle est sa recette pour redresser le BHV?
Frédéric Merlin, à 34 ans, est à la tête de la SGM, 650 employés.
Lorsqu'il parle du BHV Marais, Frédéric Merlin, probable futur propriétaire des lieux, a dans sa voix l'émerveillement d'un enfant qui découvre les grands magasins en pleines fêtes de Noël: "C'est remarquable de visiter son sous-sol, tout est beau! C’est impressionnant. Même les poignées sont belles!" Le président de la Société des Grands Magasins (SGM) est entré en discussion avec les Galeries Lafayette, pour la vente de l'emblématique enseigne parisienne et de sa petite soeur de Parly, pour une valeur estimée par les experts à 500 millions d'euros. Et semble vivre un rêve éveillé.
Il faut dire que la SGM, jusqu'ici spécialisée dans la rénovation des centre commerciaux dégradés des centres-villes, entre dans la cours des grands. Le BHV, entre 300 et 350 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel, déficitaire depuis des années selon la direction des Galeries Lafayette - et encore davantage plombé par la crise du Covid-19 - , est une étape majeure pour elle. Mais aussi un défi monumental. "La SGM une société foncière au départ. Entre acheter de la pierre et faire tourner un magasin tous les jours, c’est différent!", prévient Nicolas Rebet, consultant spécialiste du retail et du luxe, fondateur du cabinet Retailoscope. Pourtant, le jeune trentenaire Frédéric Merlin compte bien appliquer la recette qui - depuis quatre ans - sourit à sa société.
Une affaire de famille
La SGM, après avoir fait ses armes dans des bureaux en ville, s'est spécialisée à partir de 2018 dans la rénovation de centres commerciaux désertés. "Quand on a acheté des centres commerciaux, on était déjà des commerçants, sourit Frédéric Merlin. On réfléchissait à l’offre, on mettait des concepts qu’on exploitait nous-même, des cours de cuisine rééducatifs." C'est dans ces dix centres commerciaux que naît la recette en trois étapes de la SGM: rénover le foncier, renouveler l'offre des centres, et créer du flux.
Lorsque Frédéric Merlin fait la connaissance de la famille Houzé en 2021, propriétaire des Galeries Lafayette, le courant passe bien. Frédéric Merlin semble venir du même monde, anachronique pour certains, réconfortant pour d'autres. Celui des entreprises familiales (Frédéric Merlin travaille avec sa soeur et sa mère), qui préfèrent à une start-up du e-commerce un beau magasin, en briques solides, et au sol brillant. "On a des valeurs communes", sourit l'entrepreneur, tandis que du côté des Galeries Lafayette, on évoque un homme de confiance, bon candidat à la reprise. A ce moment, les Galeries Lafayette souhaitent se délester de certains de leurs magasins non-parisiens, de petites et moyennes villes. La SGM en reprend sept, de Limoges à Reims. Et applique sa formule.
"Une opération en confiance"
"On s’est rendus compte que seulement la moitié de leurs mètres carrés était à usage de commerce, se souvient Frédéric Merlin. Pour créer de nouvelles surfaces, on a rénové ces magasins. On a enlevé les plafonds résilles, on a refait nos sols… Au sein de nos centre-commerciaux, on avait pris l'habitude de développer des animations, des activités à destination des enfants, on a créé des espaces de restauration. On a fait entrer cela aux Galeries Lafayette. C’est un espèce de cercle vertueux." Rénover le foncier, renouveler l'offre, créer du flux. Le même triptyque, encore.
C'est grâce à ce premier contact que germe chez les Galeries, en manque de trésorerie en pleine rémission de la crise du Covid, l'idée d'une cession du BHV à la Société des Grands Magasins. Le magasin n'était pourtant pas à vendre, selon les Galeries. Mais le coup de foudre entrepreneurial opère. "C’est une opération en confiance, sans banquiers d’affaires, sourit Frédéric Merlin. Deux familles se sont parlées."
85% de clientèle locale
La recette sera-t-elle la même pour le BHV que pour les autres actifs de la SGM? A priori oui, reconnaît Frédéric Merlin: "Une bonne partie de la réponse, c’est le flux. J’arrive avec modestie. Les fondamentaux restent les mêmes. Il faut rénover le magasin très vite. On doit faire venir des enseignes attractives qui correspondent à son identité: le bricolage, la décoration, l’art, le loisir, la culture… C’est là-dessus qu’il faut capitaliser." Et pour cela, faire venir des spécialistes prestigieux - via des corners notamment - au BHV. 60% du chiffre d'affaires du BHV vient de la maison, et 15% du bricolage, un équilibre que la SGM ne semble pas vouloir révolutionner.
Comme dans ses centres commerciaux de centre-ville ou dans ses Galeries Lafayette des villes moyennes, Frédéric Merlin veut attirer la clientèle locale, qui représente déjà 85% du chiffre d'affaires du BHV (contrairement aux Galeries où la clientèle touristique pèse 50% du chiffre d'affaires). "On n’en fera pas un énième grand magasin du luxe", lance le dirigeant, tacle à peine voilé à la Samaritaine de LVMH (actionnaire minoritaire de Challenges). Reste à voir si la formule de la SGM suffira à redorer le blason du BHV.
"Il doit surtout redynamiser le web"
Le magasin souffre de la piétonnisation de la rue de Rivoli. "On a des services de livraison qui sont dingues!" rétorque du tac au tac l'entrepreneur. La concurrence du Ikea à dix minutes à pied? "Je suis persuadé que si vous voulez ouvrir une pizzeria, vous avez intérêt à vous mettre là où il y a toutes les pizzerias de la ville." La menace du e-commerce? "Aujourd’hui, le magasin physique a repris ses lettres de noblesse". Rien ne semble pouvoir décourager Frédéric Merlin.
"Il doit surtout redynamiser le web, prévient Frédéric Fessart, associé EY Parthenon et consultant spécialiste de la distribution. Il y a un gros territoire à explorer sur le web pour le BHV". Lorsque l'on sait que Jean-Marc Bellaiche, président du Printemps (autre icône des grands magasins parisiens) depuis deux ans, vient de Contentsquare, licorne du e-commerce, le savoir-faire de la foncière sur le numérique peut interroger en comparaison. "Le site fait presque 10 millions de visiteurs par an, se défend Frédéric Merlin. La fréquentation ne fait que croître."
L'ombre de Michel Ohayon
Mais c'est une autre ombre qui plane sur l'entrepreneur. Celle de Michel Ohayon, l'homme d'affaires bordelais dans la tourmente. Comme Frédéric Merlin, il n'est pas parisien. Comme lui, il est à la tête d'une foncière, qui progressivement s'est tournée vers le commerce (Camaïeu, Go Sport, Gap...). Comme lui, il détient en franchise de nombreuses Galeries Lafayette hors de Paris. Mais les chemins des deux hommes ont pris des chemins radicalement différents le 16 février. Ce jour-là, Frédéric Merlin a annoncé son projet d'acquisition du BHV. Et la FIB, la foncière de Michel Ohayon, a été placée en redressement judiciaire, criblée de dettes.
De quoi jeter le doute sur la SGM, société au montage complexe, qui ne réalise pas de communiqué de presse sur ses résultats, et dont le président compte déjà parmi les plus grandes fortunes de France. Françoise Biais, déléguée syndicale CGT, se réjouit de la sauvegarde de l'emploi par Frédéric Merlin. Mais glisse: "C’est un groupe qui progresse vite, qui emprunte beaucoup..." Un peu comme la FIB. Frédéric Merlin refuse d'évoquer les infortunes de Michel Ohayon. Son entreprise emprunte certes aux banques, mais garantit maîtriser ses coûts. Et veut s'afficher en acteur de la transformation, et non de la stagnation. "Quand on arrive sur un actif, on a un projet, et on va au bout", lance l'entrepreneur.
Un développement de la marque BHV hors de Paris?
Si Frédéric Merlin indique pour l'instant vouloir se concentrer sur le BHV, rien n'indique qu'il ne regardera pas un jour du côté des Galeries de Michel Ohayon, aujourd'hui inquiètes. Et qu'il ne cherchera pas à développer la marque BHV au-delà de l'Île-de-France. "Il pourrait par exemple faire des shop in shop dans ses Galeries", note le consultant Nicolas Rebet.
"Je ne veux pas insulter l’avenir, j'espère que ça arrivera, s'amuse Frédéric Merlin. Ca veut dire qu’on aurait relevé le défi. Il faut d'abord se concentrer sur la marque. Et pour la suite, vous commencez à comprendre mon système entrepreneurial". S'étendre, vitesse grand V, sur un secteur que beaucoup jugeaient déclinant. Mais jusqu'à quand?