2012 10 16 Galeries Lafayette : révolution sous la coupole
Galeries Lafayette : révolution sous la coupole
Par Corinne Scemama (L'Express) - publié le 16/10/2012 à 14:28
Après la cession de Monoprix et de LaSer Cofinoga, le groupe de grands magasins doit se réinventer. Sa nouvelle carte : devenir plus spécialisé, plus international. Un bouleversement au moment même où le vaisseau amiral, boulevard Haussmann, fête son centenaire.
GALERIES LAFAYETTE - Le groupe dirigé par Philippe Houzé doit aujourd'hui se réinventer autour d'une nouvelle entité multispécialiste et internationale.
Dans son vaste bureau, au 7e étage, boulevard Haussmann, avec vue imprenable sur l'Opéra de Paris, Philippe Houzé, président des Galeries Lafayette, disserte, intarissable, sur la riche histoire du groupe. Jusqu'au moment où un représentant de la famille Moulin, propriétaire des grands magasins, évoque le séminaire maison, organisé les 13 et 14 septembre à Arles (Bouches-du-Rhône). "C'était la dernière fois que nous nous retrouvions tous ensemble", raconte-t-il, ému, perdant soudain de sa superbe. Une ultime réunion avec les cadres de Monoprix, qui tombe dans l'escarcelle de Casino, au terme d'une bataille homérique, et ceux de LaSer Cofinoga, repris à 100 % par BNP Paribas.
Chronologie
1895: Théophile Bader et Alphonse Kahn ouvrent une mercerie, Aux galeries
Lafayette.
1912: Inauguration à Paris du grand magasin Les Galeries Lafayette Haussmann.
1916: Premières ouvertures en province, à Nice, à Nantes et à Montpellier.
1932: Ouverture du premier Monoprix, à Rouen.
1971: Acquisition des magasins français Inno.
1983: Reprise de la chaîne Aux dames de France.
1991: Acquisition des Nouvelles Galeries, groupe de grands magasins propriétaire du BHV, d'Uniprix et de Cofinoga.
1997: Rachat de Prisunic. 2000: Alliance avec Casinopour développer Monoprix.
2007: Acquisition de la société horlogère Louis Pion-Royal Quartz.
2009: Prise de contrôle du groupe par la famille Moulin .
2012: Vente de la participationdans Monoprix à Casino et cession des parts de LaSer Cofinoga à BNP
Paribas.
Un groupe recentré sur son coeur de métier
Pour le groupe, c'est la fin d'une époque. Et le moment de se réinventer dans un univers en pleine mutation. Ancrées dans le passé mais contraintes d'écrire leur histoire au futur, les Galeries Lafayette doivent, une fois de plus, faire leur(s) révolution(s). La rénovation de la Coupole à l'heure du centenaire du magasin amiral, boulevard Haussmann, célébré en grande pompe le 15 octobre, constitue, pour ses dirigeants, l'occasion idéale de redessiner les contours d'une nouvelle entité, multispécialiste et internationale.
"Nous retournons à la case départ." Philippe Houzé le sait bien : le recentrage des Galeries Lafayette sur son coeur de métier, après la cession de Monoprix et de LaSer Cofinoga, n'est pas anodin. La perte de la chaîne de "city marchés", en particulier, prive le groupe de 38 % de ses bénéfices. Pour les héritiers du fondateur Théophile Bader, vivre sans l'ex-magasin populaire constitue une gageure au moment où la crise sévit. Certes, Philippe Houzé se rassure avec les résultats du magsin du boulevard Haussmann : en 2011, celui-ci affichait une croissance de 14 %, pour un chiffre d'affaires de 1,3 milliard d'euros (1,7 milliard attendu en 2012 !).
Et puis cette famille de marchands en a vu bien d'autres ! "Il y a dix ans, les grands magasins étaient considérés comme des dinosaures. Certains affirmaient qu'il fallait transformer les Galeries en parking", se souvient Jean-Daniel Pick, consultant chez OCC Strategy. Depuis, le groupe a su se redresser, jonglant avec le luxe, réservé à une clientèle étrangère (60 % des ventes à Haussmann), et l'"accessible", pour les Parisiens avides de mode à prix raisonnables. "Cette machine à vendre, qui parvient à combiner une offre sélective avec une culture du volume, est admirable", se réjouit Cédric Ducrocq, patron du cabinet spécialisé Dia-Mart.
Il faut désormais choisir ses terrains de bataille
Mais, cette fois, la famille devrait se méfier : la réussite du grand magasin parisien, si éclatante soit-elle, aura du mal à compenser les mauvaises performances du reste du groupe. Dans l'ombre du temple de la mode, les 57 magasins de province peinent à trouver l'équilibre : héritage des Nouvelles Galeries, ils souffrent de la crise de l'habillement. Du côté du BHV Rivoli, c'est encore pire : les ventes n'en finissent pas de baisser, malgré l'arrivée du magasin homme. Quant à Lafayette Maison, dernière création du groupe, elle perd de l'argent depuis son ouverture, en 2004.
Philippe Houzé, président du Galeries Lafayette, compte sur le succès du magasin Haussmann pour redynamiser le groupe.
Il est urgent de bouger. Après le séminaire d'Arles, l'heure est au changement, martelé et orchestré tout au long de cet automne. La stratégie ? Devenir un "multispécialiste de l'équipement de la personne, de la mode, de la décoration, multicanal et international", dixit Houzé. La rénovation profonde des magasins - un investissement de 800 millions d'euros - va permettre de poursuivre le travail de sélection, entamé depuis des années (suppression du high-tech, de l'électroménager). Plus question d'être un généraliste, un modèle destiné à la casse. Il faut désormais choisir ses terrains de bataille.
A Haussmann, le groupe reconstruit le 1er étage et fait le pari du luxe. A l'instar du Printemps, son principal concurrent, qui a réussi à doper ses ventes en montant en gamme : au rez-de-chaussée du magasin, le panier moyen est passé de 60 à 600 euros ! Les Galeries, elles, vont installer des "duplex" ultrasophistiqués, réservés aux champions du luxe à la française, comme Louis Vuitton. Le rayon homme va également être étoffé d'articles "premium", grâce au déménagement du Lafayette Gourmet chez Lafayette Maison. Ce type de bouleversement a déjà payé par le passé. La transformation du rayon parfumerie, dépassé par la montée d'enseignes comme Sephora, a permis de doper les ventes. Même succès au sous-sol du magasin : en remplaçant les arts de la table et VO (espace consacré aux ados) par un immense rayon chaussures, le chiffre d'affaires a été multiplié par quatre. Les magasins de province n'ont pas non plus été oubliés. Tous se modernisent, se spécialisant, eux aussi, davantage. Comme à Toulon (Var), où l'offre est devenue exclusivement féminine.
Ce plan de combat suffira-t-il à assurer l'avenir ?
A l'étroit dans leur métier de loueurs de stands, les Galeries comptent également élargir le champ de leurs compétences en rachetant des enseignes emblématiques. Grâce à l'argent tiré de la vente de Monoprix (1,1 milliard d'euros) et de Cofinoga, le groupe espère pouvoir être plus offensif. Après avoir acquis Louis Pion-Royal Quartz, il a repris, en juillet 2012, le bijoutier Didier Guérin. A présent, il regarde tous les dossiers, du parfumeur Nocibé à Gérard Darel, en passant par Sandro et Maje, deux pépites de la mode actuellement en vente.
Bazar de luxe
C'était l'un des fleurons du commerce parisien. Aujourd'hui, le BHV se trouve en grande difficulté. "L'enseigne a raté le tournant des années 1980. La direction aurait alors dû lancer une chaîne d'équipement de la maison pour contrer des magasins spécialisés comme Castorama", regrette Philippe Houzé, président du groupe Galeries Lafayette, son propriétaire depuis 1991. Après avoir supprimé, ces dernières années, près de 1 établissement sur 4 en province (15 magasins en 2000, 4 aujour-d'hui), l'état-major se donne deux ans pour sauver ce temple de la distribution. Objectif stratégique ? En faire l'enseigne du style de vie, de la décoration et de l'équipement de la maison. A commencer par le vaisseau amiral du groupe : le bazar de la rue de Rivoli, à Paris. Au programme : un vaste plan de rénovation - et une montée en gamme - à tous les étages, y compris au sous-sol, toujours dédié au bricolage. Pour accompagner cette mutation, outre le changement de nom (voir L'Express du 10 octobre), le groupe Galeries Lafayette, propriétaire des immeubles situés derrière le vénérable établissement, compte créer un centre de shopping au coeur du Marais, en entourant le BHV de magasins de luxe. L'esprit bazar, la rentabilité en plus.
L'ouverture de grands magasins à l'étranger est une autre priorité, malgré des expériences traumatisantes. "L'international, on connaît bien. On a ouvert 20 magasins et on en a fermé 19", ironisait, il y a peu, Houzé. Aujourd'hui, après l'arrêt des établissements de New York, Tokyo ou Moscou, le groupe se sent fin prêt à reconquérir le monde, surtout la Chine, où, associé au conglomérat hongkongais IT, il va s'installer, à Pékin, dès 2013. Après cela, il restera encore à mener à bien le chantier Internet. Pour Bertrand Chovet, patron d'Interbrand, "une enseigne ne peut plus se développer sans être "omnicanal"". Or le grand magasin a pris du retard et peine encore à décoller, malgré un doublement de ses ventes via son site.
La rénovation des magasins - 800 millions d'euros - permet de poursuivre le travail de sélection
Ce plan de combat énergique suffira-t-il à assurer l'avenir ? Rien n'est moins sûr. D'abord, le succès de la nouvelle vague d'ouvertures à l'étranger reste hypothétique. Les premiers tests à Dubaï et à Casablanca ne sont pas probants. Et la Chine est un marché ultracompétitif. Ensuite, les Galeries Lafayette, qui "se hâtent lentement", selon la formule d'Houzé, n'ont pas su transformer leur "lieu mythique en marque forte et déclinable", constate Bertrand Chovet. D'autres spécialistes, enfin, se demandent si le groupe a vraiment les moyens de ses ambitions. De l'aveu même du patron : "Notre secteur est le plus lourd en matière de capitaux investis et de coûts fixes." Les rénovations, les ouvertures et les acquisitions, dans lesquelles la direction semble hésiter à s'engager, coûtent horriblement cher. Et comme la famille se refuse à retourner en Bourse pour chercher des fonds, elle est pénalisée.
Au-delà de ces interrogations, la succession à venir de la doyenne du clan, Ginette Moulin, 85 ans, soulève des incertitudes. Les héritiers (les trois filles de Ginette, Christiane, Patricia et Isabelle) - après avoir évincé, en 2005, les Meyer, l'autre branche héritière - pourraient se déchirer. Philippe Houzé, 64 ans, mari de Christiane, veut placer son fils Nicolas à la tête du groupe. De son côté, le mari de Patricia, Philippe Lemoine, patron de LaSer Cofinoga (bientôt privé de job), se retrouve sur la touche. Les époux Lemoine pourraient vouloir quitter le holding, tout comme Isabelle, férue de théâtre et guère impliquée dans la gestion. Leurs sorties nécessiteraient beaucoup de cash. Demain, il se passera toujours quelque chose aux Galeries Lafayette.